Les banques s’appuient sur un système informatique du siècle dernier. Si elles veulent résister au tsunami numérique, il leur est nécessaire de digitaliser le très ancien core banking system.
Néobanques, cryptomonnaies, robots-conseillers… Même ceux qui suivent de loin l’actualité du secteur bancaire et financier ont probablement perçu que celui-ci commence à ressentir les effets du tsunami numérique.
Ce n’est encore, pour l’instant, qu’une lame de fond. A la surface, tout semble calme. Malgré les indéniables succès commerciaux des Compte-Nickel, N26 ou Revolut Orange Bank, les (timides) offensives des Gafa ou BATX et les lois favorisant la mobilité bancaire, seul 1 Français sur 20 change effectivement d’établissement financier chaque année (étude Bain & Company).
Expérience client
Cette donnée apporte-t-elle la preuve formelle que les acteurs du secteur ont su fidéliser leur clientèle ? L’examen attentif de l’étude annuelle de Bain & Company sur la mobilité bancaire, incite à se montrer plus prudent. En réalité, un client sur quatre se déclare prêt à changer de banque dans les douze prochains mois et l’on frôle même le un sur trois pour les clients des grandes banques traditionnelles. Chez ces dernières, les indicateurs de satisfaction clients se sont fortement dégradés.
Nées dans un contexte où les entreprises pouvaient sans dommage imposer leurs modes de fonctionnement, leurs points de contact et leurs frais, les banques ne sont pas prêtes à se montrer conciliantes et à faire face à un monde où le client est devenu roi et où l’expérience client constitue la seule assurance-vie d’une relation commerciale.
Talon d’Achille
Quels sont les standards d’une expérience client exemplaire aujourd’hui ? Instantanéité, simplicité, self-service et personnalisation. Nous sommes loin du portrait-robot des services bancaires mais précisément au coeur de l’ADN d’acteurs comme Google, Amazon ou Apple.
Or les Gafa – et, même, avec un temps d’avance, les BATX en Asie – lorgnent avec de plus en plus d’insistance sur le marché des services financiers. Leur atout le plus redoutable dans la compétition qui s’annonce sur le terrain bancaire est le talon d’Achille des banques : la technologie.
A l’inverse de ces nouveaux géants de l’ère Internet, la banque repose sur un socle technique d’un autre âge et promis à l’obsolescence. Le poids des années commence sérieusement à peser sur son core banking system (système bancaire central), conçu et codifié dans les années 1970 grâce à des langages inventés en 1959 (le Cobol) et 1954 (le Fortran)…
Une informatique rigide et coûteuse
Sur cette brique technologique initiale, les ingénieurs des banques ont réalisé des prouesses. Depuis 50 ans, ils ont réussi à y brancher de nouveaux moyens de paiement (de la carte bancaire au futur virement instantané), de nouveaux canaux d’interaction client (le minitel, Internet, les smartphones) et des algorithmes de ciblage toujours plus sophistiqués. Au prix, néanmoins, de coûts et de délais de développement toujours plus prohibitifs et incompressibles.
Ces deux indicateurs, de coûts et de délais, sont aussi menaçants l’un que l’autre pour les banques. Leurs ressources sont toujours considérables, mais elles tendent à s’amenuiser. Les deux piliers sur lesquels repose leur modèle économique (les taux d’intérêt et les frais bancaires) sont en effet fragilisés. Les taux d’intérêt sont désormais structurellement bas, et les clients de moins en moins enclins à payer des frais nébuleux. Le temps d’imaginer d’autres sources de revenus et les banques prennent le risque de se retrouver dans une situation critique.
« L’agilité n’est plus un luxe : c’est un prérequis. »
Face à ces nouveaux acteurs, capables de proposer au marché de nouvelles offres et fonctionnalités en quelques semaines, les banques ne peuvent plus se permettre de raisonner en mois ou en années. Les méga projets informatiques qui permettent d’ajouter de nouveaux services au core banking system ne sont plus ni soutenables, ni réalistes.
Ils le sont d’autant moins que nul n’est capable de prévoir aujourd’hui ce que désirera le client dans 18 mois, 3 ans ou 5 ans. Dans la banque comme dans n’importe quel secteur d’activité, l’agilité n’est plus un luxe : c’est un prérequis. Un critère de survie. Et surtout la qualité qui permettra aux acteurs établis de tester, d’adapter et de faire fructifier les services à valeur ajoutée de demain.
Lancer un nouveau cycle
L’informatique du siècle dernier a rendu de fiers services aux banques, mais elle arrive en fin de cycle. Les banques doivent donc changer de logiciel, au sens propre comme au sens figuré. Elles ont besoin qu’on leur greffe, à la place de ce core banking system vieillissant, un « digital banking system » tout neuf. Un système basé sur des technologies contemporaines : le cloud, le temps réel, le mobile et les API (interfaces de programmation applicative, ces « connecteurs » d’applications informatiques).
Sortir d’un cycle c’est aussi entrer dans un nouveau. La banque va donc se réinventer grâce aux technologies. Même si le changement inquiète toujours, les opportunités et les potentiels de croissance sont considérables. En apprenant à s’approprier ce nouveau monde, la banque retrouvera une place centrale non seulement dans notre économie mais aussi dans notre vie de tous les jours.
Yves Eonnet est le président de la fintech TagPay. Il est l’auteur de « Fintech : les banques contre-attaquent », aux éditions Dunod.